Après le processus de méthanisation et le digestat, intéressons nous cette semaine au biogaz, le produit "principal". J'ai perdu certains d'entre vous entre les deux premiers articles et j'espère ne pas perdre plus de lecteurs. Promis, l'article n'est pas destiné aux ingénieurs mais à tous ! Et spoiler, ma conclusion est bien plus révolutionnaire que technique. (J'ai décidé que la nuance était révolutionnaire!)
Petit rappel, la méthanisation est la dégradation de la matière organique par des micro-organismes en l'absence d'oxygène. Les produits de cette dégradation sont le digestat et un mélange gazeux appelé biogaz. Il est constitué de méthane (entre 50 et 70%), de dioxyde de carbone (entre 20 et 50%) et quelques traces d'autres gaz.
Après un traitement léger, ce biogaz peut être utilisé sur le site directement. On peut l'utiliser pour produire de la chaleur, de l'électricité mais surtout plus intéressant en cogénération. C'est-à-dire ? La production d'électricité se fait grâce à une turbine ou un moteur et génère de la chaleur. On pourrait considérer cette chaleur comme une perte. Au lieu de cela, on "récupère" cette chaleur et on l'utilise pour chauffer des bâtiments.
On peut injecter l'électricité dans le réseau, par contre la chaleur doit être utilisée localement. Cette solution est donc intéressante lorsqu'il y a un besoin de chaleur à proximité. (Et l'été, on en fait quoi ?)
Rendement des moteurs à cogénération d’électricité et de chaleur environ 85 %, avec 35 % de production électrique et 50 % de production de chaleur.
Photo de Julia Koblitz sur Unsplash
Autre possibilité, injecter le biométhane dans le réseau de gaz naturel. Dans ce cas, il faut épurer le biogaz. Cette étape permet de séparer le biométhane de tous les autres gaz produits pendant la méthanisation. Les usages sont alors identiques au méthane circulant déjà dans le réseau.
Pour les bâtiments raccordés au réseau : chauffage, eau chaude sanitaire, cuisson.
Pour le transport, les véhicules vont pouvoir venir se ravitailler en gaz compressé en station de Gaz Naturel pour Véhicules (GNV). L'avantage pour cet usage est que la part de BioGNV dans le carburant importe peu. Le gaz naturel, d'origine fossiles, et le biométhane sont interchangeables, les moteurs des véhicules acceptant l'un ou l'autre ou un mix des deux sans distinction. En 2021, plus de 5000 bus et cars et plus de 2000 camions-bennes roulaient au BioGNV/GNV. L'électrification des véhicules lourds restent un vrai défi, notamment à cause de batteries. Le bioGNV/GNV est une solution intéressante pour ces flottes dites captives (les véhicules restent dans le périmètre d'une agglomération et rentrent "le soir" au dépôt).
Mais lorsqu'on brûle du biogaz ou du biométhane, cela émet bien du CO2 ?
Tout à fait ! On remet dans l'atmosphère le CO2 qui a été capté par les végétaux lors de leur croissance. Ces végétaux ont été en partie mangé par le bétail, en partie utilisé en matière organique d'entrée du méthaniseur. Les effluents d'élevage reviennent aussi au méthaniseur. C'est donc une boucle courte du carbone. Lorsqu'on brûle du méthane extrait du sous-sol, on libère dans l'atmosphère du carbone qui avait été capté par des organismes vivants il y a fort fort longtemps et qui était donc piégé dans le sous-sol.
Attention, si la dégradation de la matière organique a lieu sans oxygène et qu'on ne récupère pas le gaz qui s'en dégage, alors le carbone est libéré dans l'atmosphère en grande partie sous forme de méthane, qui a un pouvoir réchauffant environ 28 fois plus grand que le dioxyde de carbone. Cela peut avoir lieu lorsqu'on entasse les déchets organiques, ceux qui sont au centre du tas se décomposent sans oxygène.
En 2021, l'équivalent de 4,3 TWh de biométhane ont été injectés dans le réseau et 2,7 TWh d'électricité ont été produite à partir de biogaz. En comparaison, en 2021, la consommation finale à usage énergétique en France s'élève à 1618 TWh. Autant vous dire que la méthanisation reste un verre d'eau dans le lac !
Et les projections pour le futur ? L'ADEME a imaginé deux scénarii : tendanciel ou volontariste avec pour des estimations entre 12 et 30 TWh/an à l'horizon 2030.
Pour moi, ces ordres de grandeur indiquent bien que même si la méthanisation est une voie à ne pas négliger pour ne pas "gaspiller" nos déchets, elle ne nous épargnera de réduire notre consommation énergétique drastiquement.
Le challenge est d'avoir en tête que :
- c'est un bouquet de solutions bas-carbone pour produire notre énergie qu'il faut mettre en place et pas une seule technologie
- certaines solutions sont plus ou moins compatibles avec certains usages (ex : le bioGNV comme carburant des flottes captives de bus plutôt que les batteries électriques mais pour l'eau chaude sanitaire c'est peut-être mieux un chauffe-eau solaire). Il va donc falloir faire des choix d'usage et encore plus, faire des choix d'usage au niveau collectif (du biocarburant pour les avions ou pour les bus ?)
- quelques soient le nombre de solutions mises en oeuvre pour décarboner notre production d'énergie, il FAUT absolument qu'on REDUISE notre consommation d'énergie.
Tout comme remettre la méthanisation dans la boucle de l'économie circulaire (la valorisation énergétique n'intervient qu'en dernier recours) est essentiel pour éviter tout effet rebond, comprendre que le biogaz et le biométhane ne nous éviteront pas de réduire notre consommation d'énergie est indispensable.
Et peut être même que si notre logiciel de pensée était celui de l'économie circulaire et de la réduction de la consommation d'énergie, on pourrait se passer de tous ces règlements, et des certifications de durabilité des unités de méthanisation. Désolée, je rêve tout haut... alors en attendant contrôlons, auditons, certifions ! "In God we trust, the rest we audit."
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