Il y a peu je lisais un article sur la frugalité ou prihatin en Indonésie et cela m'a rappelé à quel point nous, occidentaux, pouvions passer pour des donneurs de leçons. J'ai fait le lien avec les pétitions contre le projet pétrolier EACOP, les parcs naturels "protégés" ou l'appellation "forêt vierge".
Je vais commencer par le projet EACOP en Ouganda. C'est un projet pétrolier de TotalEnergies et de CNOOC (China national offshore oil corporation) qui devrait extraire environ 200 000 barils de pétrole par jour dans 6 champs pétrolifères. Puis ce pétrole parcourra environ 1400 km dans un oléduc chauffé, pour atteindre le port de Tanga en Tanzanie et être acheminé vers les clients. 33 millions de tonnes de CO2 supplémentaires par an dans l'atmosphère, alors qu'on souhaite réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour rester en-dessous des +2°C de réchauffement climatique à l'horizon 2100 !
Face à la campagne internationale #stopEACOP, à la résolution non contraignante votée par le Parlement Européen, l'Ouganda, pays souverain, met en avant son droit à exploiter ses ressources naturelles et de profiter de cette manne pour développer les énergies renouvelables. Leur dicter leur ligne de conduite en matière d'écologie serait une forme de néocolonialisme.
Photo de Ben Preater sur Unsplash
Dans un registre légèrement différent, que dire du projet de relocalisation des bergers Masaï de la réserve naturelle du Ngorongoro ? Ils avaient déjà du abandonné le Serengeti dans les années 1950, les autorités coloniales britanniques et les organisations de protection de l'environnement souhaitant protéger le Serengeti des activités pastorales.
Et aujourd'hui, les ONG, les entreprises de tourisme et l’État tanzanien veulent de nouveau "protéger la nature" en considérant que la seule activité humaine possible dans ces zones serait le tourisme. “Le tourisme perpétue une économie politique colonialiste dans un monde postcolonial.”
Nous sommes particulièrement doués pour donner des leçons ...
Nous avons construit notre développement sur la déforestation de nos pays, sur l'utilisation de nos ressources (charbon, ...) mais aussi sur l'exploitation humaine dans les colonies, le pillage des ressources de terres que nous avions fait nôtres sans considérer les peuples locaux. Aujourd'hui, l'esclavage nous fait horreur, nous ne sommes pas fiers de la colonisation mais avons-nous conscience que le niveau de vie dans nos pays développés trouve ses origines dans ce terreau ?
A-t-on le droit d'interdire à des pays de se développer à leur tour, à partir de leurs propres ressources ? de profiter de la manne du pétrole, de la manne du tourisme ?
Nous avons plutôt des devoirs.
Nous devons les informer de leur responsabilité. Sortir les énergies fossiles de leur sous-sol, c'est continuer à émettre du CO2 dans l'atmosphère, c'est contribuer au changement climatique. D'ailleurs, si cet oléoduc est construit, c'est pour que le pétrole extrait soit utilisé ailleurs dans la monde. L'Ouganda ne va pas brûler ce pétrole sur son sol. EACOP ne fait que nous maintenir sous perfusion de pétrole, nous, qui avons un niveau de vie très confortable à l'autre bout de la Terre. L'Ouganda a-t-il besoin de ce pétrole ou a-t-il besoin d'argent et d'investissements ?
C'est injuste de faire peser cette responsabilité sur les épaules de pays comme l'Ouganda.
C'est pourquoi, nous devons aussi reconnaître nos erreurs passées et actuelles.
Nous ne pouvons pas demander à l'Ouganda de garder son pétrole dans son sous-sol et continuer d'en consommer. Nous ne pouvons pas demander à l'Ouganda de garder son pétrole dans son sous-sol et promouvoir le modèle de développement occidental comme si de rien n'était. Nous devons admettre que nous nous sommes fourvoyés !
Avoir intégré que l'objectif est le modèle de développement occidental, voilà pour moi, le néocolonialisme.
C'est encore plus injuste : après avoir piétiné pendant des siècles les cultures locales en Afrique, en Amérique, en Asie, leur dire que nous nous sommes trompés et qu'ils doivent réinventer leurs propres modèles. "Et oui, c'est la m**** et en plus il faut que vous vous débrouillez parce que tout ce qu'on vous a "vendu" (le droit de consommer ? la liberté de posséder ?) nous mène droit dans le mur."
Il existe bien d'autres droits et libertés.
Et nous aussi d'ailleurs nous devons nous réinventer.
Par exemple, apprendre que cela ne sert à rien de vouloir protéger la nature mais plutôt tenter de coexister avec l'écosystème naturel. La forêt vierge est un mythe, les peuples indigènes amazoniens interagissaient et interagissent avec la forêt. Les activités pastorales des Masaï ont façonné le paysage du Serengeti que les occidentaux voulaient à tout prix préserver en expulsant les bergers dans les années 1950.
Arrêtons de donner des leçons, soyons prêts à en recevoir, élargissons notre regard.
PS : pour aller plus loin sur la manière d'habiter la forêt amazonienne, je vous conseille cet épisode captivant du campus Condorcet.
Comments