Les vacances arrivent à grands pas ... ou pas. Comme moi (ou pas), vous avez votre billet d'avion pour partir en voyage, découvrir un nouveau pays, retrouver votre famille et vous culpabilisez de prendre l'avion (ou pas) dans ce contexte d'urgence climatique.
Oui, nous rentrons à la Réunion cet été et ces retrouvailles familiales m'enchantent. On me l'a déjà dit, je ne devrais pas rougir de rejoindre ma famille en avion, c'est un peu compliqué d'aller à la Réunion autrement.
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Cependant, ce qui me questionne c'est mon logiciel de pensées : "je trouve toujours que c'est une chance de voyager". J'entends qu'il faut penser le voyage autrement, que le trajet a autant d'importance que la destination, qu'on doit revaloriser les voyages en train, qu'on peut faire de belles rencontres près de chez soi ... Je parle d'un autre type de voyage.
J'ai eu la chance de grandir à la Réunion, d'aller faire les études en France métropolitaine. Je ne serais pas devenue ce que je suis sans cette étape : les coups de blues, les grandes joies, l'expérience du changement et des différences, les rencontres que j'ai faites !
J'ai eu la chance de rester une douzaine d'années en Normandie et j'ai eu la chance de partir à Varsovie avec ma petite famille. Je ne serais pas devenue ce que je suis sans cette étape : les coups de blues, les grandes joies, l'expérience du changement et des différences, les rencontres que j'ai faites !
Il y a à peine un an, on quittait Varsovie pour Genève : nouveaux coups de blues, nouvelles grandes joies, nouvelle expérience du changement et des différences, nouvelles rencontres !
J'ai quitté la Réunion en 1998, c'était un autre siècle. J'y suis retournée de nombreuses fois. Je me pose souvent cette question : "est-ce que j'aurais eu le courage de partir en métropole faire mes études si je n'avais pas eu l'assurance de pouvoir rentrer ?"
Où est-ce que je veux en venir ? Tout le monde essaie de me rassurer en me disant que si le rationnement des transports carbonés devait arriver, cela ne concernerait pas l'outre-mer, les voyages familiaux ... Il ne faut pas devenir plus royaliste que le roi !
MAIS mon problème est ailleurs. Quand il est devenu urgent d'inventer de nouveaux récits, à la fois joyeux et compatibles avec une vie bas carbone, moi, je continue de penser que c'est une chance d'aller se confronter à d'autres cultures, d'expérimenter le changement, le vivre en vrai pas au travers d'un écran ... Je suppose que je n'arrive pas à penser autrement, parce que je me suis construite avec toutes ces étapes dans des lieux différents.
J'estime avoir changé grâce à tous ces lieux, d'avoir gagné en ouverture d'esprit (et pourtant j'ai l'impression de penser encore si souvent dans le cadre). Aujourd'hui, me voilà avec ma famille à la Réunion, mes ami.e.s à Varsovie, Londres, Dubaï, en passant par Lille, Marseille, Paris... et mes enfants qui aimeraient découvrir le Japon.
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Alors, je suis coupée en deux : d'un côté, je ressens dans mes tripes l'urgence d'agir contre le dérèglement climatique, je comprends qu'il faut réduire drastiquement nos émissions de CO2 dès à présent et de l'autre, je ne veux pas renoncer à voir ma famille, mes ami.e.s, je ne veux pas limiter la curiosité de mes enfants, je ne veux pas que ce champ des possibles se referme. Bien entendu, j'ai omis de parler du coût financier et tous les étudiants ne peuvent pas partir en Erasmus ou quitter la Réunion pour poursuivre leurs études. Mais lorsqu'on y ajoutera le coût/quota carbone, est-ce qu'il n'y en aura pas encore moins ? Comment envisager de nouer des amitiés, de tomber amoureux, de travailler loin de sa famille, de son lieu d'origine en ne sachant pas si on pourra rentrer ? C'est étrange, pour moi, penser le rationnement des voyages en avion, c'est comme penser la négation de mon identité.
La réponse est sans doute dans la nuance mais je ne suis pas sûre que l'urgence des actions climatiques nous permette de conserver cette nuance.
PS : Ma situation a toujours été une situation de privilégiée. Un grand nombre de personnes sont obligées de changer de lieux de vie pour des raisons économiques, climatiques,... pour survivre. Je salue leur courage.
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