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Désobéir, un acte citoyen ?

Article déjà publié en avril 2022 et mis à jour avec les dernières actualités.


Depuis quelques semaines, des actes de désobéissance civile font la une des journaux.


Les activistes de Renovate Switzerland continuent de se coller les mains sur des chaussées d’autoroute coupant ainsi la circulation et réclamant le budget nécessaire à la rénovation d’un million de logements, objectif réduire les émissions de gaz à effet de serre. Article du Temps, Article de Blick


Les militants de Just Stop Oil et de Last Generation jettent de la soupe sur les vitres de tableaux célèbres exposés dans les musées européens pour demander l’arrêt des investissements dans les énergies fossiles. Article du Monde


Des scientifiques de Scientits Rebellion s’introduisent dans des usines et des showrooms de constructeurs automobiles allemands pour déplorer l’inaction face à l’urgence climatique. Article de FranceInfo


J’ai tenté de comprendre ce qu’était la désobéissance civile.



Quand on parle de désobéissance civile, on pense à deux grandes figures historiques : Gandhi et Martin Luther King. Le premier luttait contre l’impérialisme colonial britannique en Inde, le second, la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Ces mouvements non-violents sont devenus célèbres aussi parce qu’ils ont atteint leur but.




Cependant, des citoyens “plus ordinaires” ont aussi enfreint la loi parce qu’ils pensaient qu’elle était contraire à une cause supérieure ou pour médiatiser leur combat.

En Suisse, pendant la Seconde Guerre Mondiale, Paul Grüninger est condamné pour avoir fait passer des juifs fuyant l’Autriche. Il ne sera acquitté que 55 ans plus tard, à titre posthume, le tribunal reconnaissant qu’il a agi au nom de l’état de nécessité qui prévalait sur les règles administratives.


En France, en 2004, le maire de Bègles marie un couple homosexuel sous les flashs des journalistes. Cette union sera déclarée illégale mais l’objectif de médiatisation des droits des homosexuels est atteint.


Voilà deux contextes bien différents : d’un côté la guerre, de l’autre un pays démocratique en paix. Est-ce que la désobéissance civile à sa place dans un régime démocratique ? Nous élisons nos représentants qui proposent et votent les lois. Si une loi est mal faite, nos représentants s’en chargeront ! On pourrait donc dire aussi que nous n’avons pas besoin de lobbies, de grèves, de manifestations … Il faudrait bannir toute forme de pression sur nos représentants.


Rappelons-nous que les luttes contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis ou pour le droit à l’avortement en France se sont déroulées dans des pays démocratiques.


Les causes, les contextes, les objectifs sont différents, le mode d’action est identique.

La loi existe mais elle peut être mauvaise. Faut-il l’appliquer ?


Si chacun regarde son intérêt particulier, on peut rapidement trouver beaucoup de lois qui ne nous “plaisent” pas. On pourrait donc tous devenir des désobéissants ? Par exemple, pendant les deux ans de crise du Corona virus, des gens ont affirmé que la loi bafouait leur liberté. Ne mettaient-ils pas leur liberté individuelle au-dessus de tout évitant de penser que leurs actions pourraient entraver la liberté, la santé des autres ?

Il y a quelques siècles, la traite des noirs était encadrée par la loi. Est-ce que pour autant elle était juste ? Aujourd’hui, avec nos yeux de citoyens du XXIème siècle, l’abolition de la traite puis de l’esclavage (deux évènements différents!) nous semblent être des décisions justes, peut-être même tardives. Cependant, qu’aurions-nous pensé, qu’aurions nous fait à l’époque ? “Par principe, je suis contre, mais l’esclavage, c’est légal”, “la loi est mal faite mais c’est comme ça”, “si on abolit l’esclavage, toute l’économie va s’effondrer” (argument des lobbies esclavagistes), “boycotter le sucre et le cacao, comment ferons-nous ?”


Comment décider quelle cause est supérieure à la loi ?

Je vais vous paraître provocante : est-ce l’idée d’égalité des humains entre eux est une idée qui transcende l’espace et le temps ? De quel côté, aurais-je été à l’époque des mouvements des droits civiques ? Martin Luther King et Rosa Parks auraient-ils été mes héros ? Une cause qui parait aujourd’hui supérieure, a-t-elle pu être précédemment considérée comme illégitime ?


Rosa Parks / Photo by Unseen Histories on Unsplash


Revenons à l’actualité.

Dans le cas de Scientist Rebellion, de Just Stop Oil, d’Extinction Rebellion, de Renovate Switzerland, quelle est la cause supérieure ? L’urgence d’agir face à la crise climatique, qui menace nos vies et celles des générations futures … Personnellement, je partage ce sentiment d’urgence et je trouve que la prise en compte politique et collective de ce sujet n’est pas à la hauteur. Le seul courage que j’ai, c’est de relayer leurs actions, je n’ai pas les tripes pour faire ce qu’ils font.


Est-ce que cette cause est vue de la même manière par tous ? Non, dans le cas de Renovate Switzerland, après avoir lu quelques commentaires sous les articles de presse médiatisant les blocages d’autoroute en Suisse, la crise climatique est loin d’être comprise. L’objectif n’est pas de décrocher l’adhésion des automobilistes bloqués mais d’attirer l’attention des médias et du Conseil fédéral sur une solution … pas LA solution mais une parmi d’autres pour faire avancer la Suisse sur la voie de la neutralité carbone.

Est-ce que la méthode fait l’unanimité ? Non, la méthode est forcément dérangeante. Elle est là pour provoquer, pour être médiatisée, pour faire parler de l’urgence environnementale.


Alors pour ou contre la désobéissance civile ?

Vous me jugerez “timorée”, “nuancée” … et oui, je défends la nuance, ce n’est pas de l’opportunisme ou de l’attentisme. Dans notre époque des extrêmes, j’espère avoir encore ce courage de la nuance et je préfère me concentrer sur la cause plutôt que sur le mode d’action.

Je ressens le sentiment d’urgence de la crise climatique de manière tellement forte que je peux vous dire les yeux dans les yeux : “Je soutiens toute forme d’action non-violente qui nous fera avancer …”



PS : Pour revenir au père de la désobéissance civile, Henry David Thoreau :

“Je ne cherche pas querelle à des ennemis lointains mais à ceux qui, tout près de moi, collaborent avec ces ennemis lointains et leur sont soumis: privés d’aide ces gens-là seraient inoffensifs. Nous sommes accoutumés de dire que la masse des hommes n’est pas prête ; mais le progrès est lent, parce que l’élite n’est, matériellement, ni plus avisée ni meilleure que la masse. Le plus important n’est pas que vous soyez au nombre des bonnes gens mais qu’il existe quelque part une bonté absolue, car cela fera lever toute la pâte. Il y a des milliers de gens qui par principe s’opposent à l’esclavage et à la guerre mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme ; qui se proclamant héritiers de Washington ou de Franklin, restent plantés les mains dans les poches à dire qu’ils ne savent que faire et ne font rien ; qui même subordonnent la question de la liberté à celle du libre-échange et lisent, après dîner, les nouvelles de la guerre du Mexique avec la même placidité que les cours de la Bourse et peut-être, s’endorment sur les deux. Quel est le cours d’un honnête homme et d’un patriote aujourd’hui? On tergiverse, on déplore et quelquefois on pétitionne, mais on n’entreprend rien de sérieux ni d’effectif. On attend, avec bienveillance, que d’autres remédient au mal, afin de n’avoir plus à le déplorer. Tout au plus, offre-t-on un vote bon marché, un maigre encouragement, un « Dieu vous assiste » à la justice quand elle passe. Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un seul homme vertueux.”

(Extrait de La désobéissance civile)

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2 Comments


Guest
Dec 08, 2022

C'est génial ce texte Stéphanie, et la question est si complexe...

Tu te joindras à nous pour en discuter en janvier (à distance) ?

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szczepanskistephan
szczepanskistephan
Dec 09, 2022
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Merci. Je ne sais pas si vous avez prévu une participation à distance pour votre "café". Si c'est le cas, je peux essayer de m'organiser pour participer. Ce sera avec plaisir !

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