Qui sait vraiment à quoi ressemble la vie d'une vache laitière ? On boit du lait, on mange du fromage, on admire quelques vaches dans les prairies montagneuses et verdoyantes de Suisse mais on n'y connait pas grand chose.
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Là où j'ai grandi, les vaches n'étaient pas pléthore mais je savais tout de même que le lait ne sortait pas de la vache en brique tetrapak. Plus tard, j'ai habité une douzaine d'années la Normandie, la région du fromage ! A la boucherie de Neufchatel en Bray, il y avait le nom des bêtes dont le steak était en vitrine. Je pensais que Falbala ou Micheline ne donnaient plus assez de lait et se retrouvaient découpées en morceaux dans nos assiettes. Je n'ignorais pas la réalité de l'abattoir mais mon niveau de connaissance s'arrêtait là. Je continuais de manger de la viande de boeuf (et pourquoi ne dirait-on pas de la viande de vache ?), de savourer le fromage et de boire du lait même si ma consommation de viande a nettement diminué ces dernières années.
Il y a quelques semaines, un titre de Reporterre a capté mon attention : Avec l’élevage en lactation continue, on peut se passer de l’abattoir. La lactation continue ? J'ai voulu comprendre et pendant la préparation de mon article, je suis allée de surprise en surprise ... et pas des plus agréables.
Pour commencer à produire du lait, une vache ou une chèvre doit porter un petit et mettre bas. Généralement, le veau ou le chevreau sont séparés de leur mère, l'éleveur récupérant le lait grâce à la traite.
Destin du veau et du chevreau ? Engraissement puis abattoir.
Destin de la vache et de la chèvre ? Donner du lait mais surtout porter un petit chaque année (qui finira à l'engraissement et à l'abattoir) pour continuer à produire du lait. Et lorsque leur production de lait diminuera, elles seront conduites à l'abattoir.
Euh, retour en arrière s'il vous plaît.
- Mettre bas chaque année pour continuer à produire du lait ? FAUX !
C'est là, que la lactation longue ou continue intervient ! Les chèvres de Jean-Yves Ruelloux ne mettent bas qu'une seule fois dans leur vie. Puis l'éleveur les trait sans qu'elles remettent bas. La lactation peut durer jusqu'à douze ans sans réduction significative de la production. L'hiver, la lactation est moins importante mais bien présente et elle ré-augmente au printemps.
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Et chez les vaches ? Il n'existe pas d'étude comparable avec un seul vêlage et une lactation continue mais un essai d'allongement de la lactation à 18 mois (au lieu de 12) a été réalisé. Il me semble que cela reste "léger" pour que des éleveurs bovins se lancent dans l'expérimentation pratique. Il y a des choses à faire de ce côté !
- Lorsque la production de lait diminuera, les vaches et les chèvres seront conduites à l'abattoir (ou réformées, terme moins cru mais voulant dire la même chose) ? FAUX !
L'espérance de vie d'une vache est d'environ 20 ans, elle pourrait porter jusqu'à 8 ou 9 veaux mais on l'envoie à l'abattoir au bout de 7 ans en moyenne après avoir porté 3 ou 4 veaux. On n'attend même pas que leur production de lait diminue pour les réformer, leur potentiel laitier n'est généralement même pas atteint. Moins "féconde" (l'insémination n'a pas fonctionné du premier coup - faut-il rappeler le taux de réussite des inséminations artificielles chez les humains ?), plus de fausses couches (un exemple de consanguinité dans la filière viande au Japon), mammites à répétition, et donc frais croissants de vétérinaire, voilà quelques arguments pour les remplacer par des vaches plus jeunes. Une vie entière de portante pour finir en saucisse (tdg.ch)
Pour les chèvres, en méthode "classique", la durée de vie est de 4 à 5 ans contre plus d'une douzaine d'années dans la ferme de Jean-Yves Ruelloux.
Quel gâchis ...
Manger du fromage, boire du lait sans sur-approvisionner le rayon saucisses de veau - vaches du boucher, il reste encore du chemin à faire ! Avant d'arriver à la lactation continue après une seule mise bas pour les vaches comme pour les chèvres de Jean-Yves Ruelloux, des éleveurs promeuvent "tout simplement" l'allongement de la durée de vie de leur vache. Les motivations sont différentes au départ mais elles convergent tout de même vers "moins de gâchis", ce qui est selon moi déjà une première étape intéressante.
On veut aussi manger moins de viande bovine parce que l'élevage participe de manière non négligeable aux émissions de gaz à effet de serre et en même temps, on ne veut pas renoncer aux traditions culinaires de nos pays (une bonne fondue l'hiver ... savoyarde ou suisse ?!, que serait la Normandie sans ses fromages ?). Il va falloir que l'élevage change ses pratiques agricoles et que nous aidions les éleveurs à le faire.
Je ne souhaitais pas écrire cet article pour vous culpabiliser mais pour mettre en avant des initiatives motivantes. Après la diffusion du reportage de Radio France sur la ferme de Jean-Yves Ruelloux, celui-ci a été contacté par une centaine de personnes, inspirées et curieuses, cela a même donné lieu à un second reportage l'automne dernier : Un chevrier qui fait des émules. Prenez le temps de l'écouter, vous repartirez motivés et peut être même avec quelques questions à poser au prochain marché fermier du coin.
PS : Je n'ai abordé ici qu'une toute petite partie de la complexité de l'élevage et je ne vous ai même pas parlé de la présure, issue de la caillette du veau, nécessaire pour faire du fromage 😥
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