Voilà un sujet qui amène rapidement une prise de position POUR / CONTRE, alors que peu de gens savent de quoi il s'agit :
Selon le sondage de l'Ademe « Les Français et l'environnement » de novembre 2018, seulement 2 % de la population connaissait la méthanisation, « ne serait-ce que de nom ». Extrait du rapport d'information du Sénat de 2021
"On ne devrait pas faire croire aux gens que la méthanisation est une solution qui remplacera le gaz russe", "vous avez reçu un chèque de GRDF pour parler méthanisation ?", ... proposer une opinion tranchée sur un sujet, le meilleur moyen de faire le buzz !
Et comme d'habitude, je vais prôner la nuance, le truc pas vendeur du tout, à moins de dire que je suis RADICALEMENT nuancée !
Et pour commencer, je vais décrire le processus.
La méthanisation est un procédé de dégradation de déchets organiques en absence d'oxygène (contrairement au compost qui a besoin d'oxygène).
Cela concerne : les déjections animales (bouses de vache, excréments de poulets, crottins de cheval, ...), les déchets agricoles, les déchets des industries agroalimentaires (résidus céréaliers, pulpe de betterave, lactosérum des fromageries ou jus de choucrouteries, ...), les déchets "de jardin" (tontes), les boues de stations d'épuration.
Dans une grande cuve fermée (puisque le processus doit se réaliser en milieu anaérobie), dans des conditions optimales et contrôlées, des micro-organismes vont "digérer" ces matières organiques, pendant 40 à 60 jours en moyenne, et produire :
- un produit humide, riche en matière organique, le digestat. Traité, il a vocation à retourner au sol comme engrais.
- un mélange gazeux appelé biogaz. Celui-ci contient du méthane, d'où le nom du procédé. Le biogaz peut être utilisé tel que (combustion du biogaz pour produire de l'électricité, de la chaleur) ou être purifié pour récupérer uniquement le méthane qui sera injecté dans le réseau de gaz.
Cela peut paraître MAGIQUE d'utiliser des "déchets" pour produire de l'engrais ET de l'énergie. Et la nuance dans tout ça ? La voilà justement qui vole à mon secours !
La difficulté est à la fois d'arrêter de regarder les "co-produits" de nos activités comme des déchets mais comme des ressources et en même temps de ne pas survaloriser ces ressources. Dans la vision de l'économie circulaire, la valorisation des déchets est la dernière étape du cercle vertueux. On doit agir en amont pour réduire nos déchets, même si à la fin on peut les considérer comme une ressource à valoriser.
On ne doit pas produire plus de bouses de vaches, d'excréments de poulets ou dédier des parcelles agricoles pour des cultures à visée énergétique pour alimenter des méthaniseurs ! Et à la fois, on ne peut pas se permettre de gaspiller les ressources qu'on a sous le nez et que nos activités co-génèrent.
Et on touche là une des premières controverses liées à la méthanisation : le conflit d'usage des terres agricoles, entre production alimentaire et production énergétique. Surtout lorsque le revenu des agriculteurs dépend du cours du lait, des pommes ... mais que le prix de rachat du gaz est garanti par des contrats sur 20 ans.
N'oublions pas non plus "sur l’intégralité des terres arables européennes, 63 % sont [...] destinés à l’alimentation du bétail" d'après une étude de 2019 de Greenpeace Europe. D'après moi, il y a déjà un conflit d'usage dont on parle peu, nourrir les Hommes ou nourrir (toujours plus) le bétail ? Certes les animaux finiront par nourrir les Hommes ... mais a-t-on besoin d'en manger autant ? (Je reviendrai sur ce point dans le prochain article.)
Autre question : au final, on utilise tout de même du méthane et cela génère du CO2. Alors méthane issu de méthaniseurs ou extraits du sous-sol, même effets ?
Le méthane de nos sous-sols contient du carbone qui a été capté il y a des millions d'années. Ce carbone est emprisonné sous nos pieds et il faut le laisser où il est.
Le méthane issu des méthaniseurs provient d'un cycle court du carbone : les plantes en grandissant ont capté le carbone de l'air (exactement comme quand on vous vend que pour compenser vos émissions, il faut planter des arbres). Les plantes ont été récoltées, mangées, transformées : une partie du carbone capté est toujours présent dans la matière organique qui arrive aux méthaniseurs. Transformations supplémentaires pour récupérer le carbone sous une forme utile énergétiquement : le biogaz (ou le méthane après purification). Brûler le biogaz (ou le méthane) relâche dans l'air du carbone et le cycle recommence avec sa captation par les plantes.
La méthanisation, c'est donc un sujet fascinant (produire de l'énergie avec des"déchets") et complexe avec son lot de questions et de controverses. Je vous donne donc rendez-vous la semaine prochaine pour en savoir plus sur les digestats, la pérennité des "déchets" en entrée des méthaniseurs, le potentiel énergétique ...
PS : j'ai trouvé cette vidéo de Jamy plutôt pédagogique. Bien entendu, rien ne vaut le rapport d'information du Sénat (je vous en parlerai prochainement) mais la vidéo de Jamy est sans doute plus digeste pour une première approche du sujet.
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