Fin 2022, je suis passée un peu à côté du bruit de fond médiatique autour de "Chat GPT", au point même que je me suis laissée tenter par une nouvelle de Roger Zelazny mise en avant à la librairie, Le temps d'un souffle, je m'attarde... sans en faire le lien. Et pourtant, la quatrième de couverture était succincte et claire : "En 1966, Roger Zelazny imagine un ordinateur tout-puissant qui rêve de devenir humain."
Alors qu'est-ce que Chat GPT ? Et quel lien avec la nouvelle pour laquelle j'ai eu un coup de cœur ? Chat GPT, ne serait-ce pas ce nouvel meilleur ami de tout étudiant devant produire un écrit ? Pas uniquement ;-) C'est un robot conversationnel qui répond aux questions posées, de manière naturelle et cohérente. Il est donc capable de rédiger des dissertations, des discours, ... à partir des données dont son intelligence artificielle a été nourri (ce qui peut laisser la porte ouverte à des biais : exhaustivité des données, quid des données non référencées informatiquement, opinion versus faits, ...)
Alors est-ce la fin de l'évaluation des connaissances des étudiants ? Est-ce la fin de l'enseignement ? Dispute chez les Beaux Parleurs de RTS, entre adhésion pour l'outil technologique et rejet d'un joujou fétichisé qui signerait notre abrutissement futur. (A partir de 23:35)
Photo de Everyday basics sur Unsplash
Notre histoire est parsemée de nouveaux outils que nous avons adoptés avec plus ou moins d'enthousiasme ou de défiance. Est-ce qu'on est plus bête aujourd'hui qu'avant l'imprimerie et la diffusion des livres ? Le livre, un outil pour consigner des connaissances et donc pour les consulter, sans devoir tout apprendre et mémoriser ! Cela a sans doute révolutionné l'enseignement de l'époque.
Quel virage l'enseignement devra-t-il négocier pour intégrer Chat GPT ? Avec ou sans ce nouveau joueur, l'enseignement de l'esprit critique devrait être renforcé, auprès des enfants, des jeunes et des moins jeunes. Nous devrions tous faire une pause dans ce flux incessant de données, faire un pas de côté, analyser et comprendre comment nous arrivent les informations.
Mais au-delà de l'esprit critique, est-ce que cela sert encore à quelque chose d'apprendre ? J'ai grandi à une époque où l'ordinateur n'avait pas sa place à la maison et pourtant je n'ai que 42 ans ! Je reste persuadée qu'apprendre des données et des méthodes sont indispensables. Même si je peux trouver la date de la révolution française sur Google, j'ai tout de même besoin de savoir qu'il y a eu une révolution pour poser ma question. L'esprit critique ne suffit pas, on a besoin de connaissances de base et de méthodes pour l'exercer.
Quant au joujou fétichisé de l'intelligence artificielle, je crois effectivement qu'il faut remettre l'outil à sa place. Prenons cette œuvre artistique générée par une IA et qui a fait le buzz car elle a remporté un prix. (usbeketrica.com)
Comme expliqué dans ce petit documentaire d'Arte, l'IA n'a pas produit l'œuvre de manière spontanée, il n'y avait pas d'intention de sa part. Jason Allen, l'auteur, lui avait une intention, une envie, et finalement a décidé à un moment donné que la création était "aboutie".
Dans la nouvelle Le temps d'un souffle, ..., deux machines tentent d'appréhender l'art. Gel qui souhaite comprendre la nature de l'Homme, peint une toile, Mordel la critique : "La randomicité est peut-être le principe qui sous-tend la technique artistique. [...] Il faut que [...] je recherche les intentions derrière cette toile plutôt que de me contenter de considérer la technique ayant présidé à sa réalisation. Je sais que les artistes humains ne se donnaient jamais pour but de créer des œuvres d'art en tant que telles, mais plutôt de représenter aux moyens de leur techniques certains des choses et de leurs fonctions qu'ils jugeaient significatifs."
Est-ce que Jason Allen a ressenti une émotion particulière lorsqu'il a considéré l'œuvre achevée ? Il ne le dit pas explicitement dans le documentaire mais on peut supposer qu'après près de 80 heures de recherches de prompts (combinaison de mots qui lance la génération d'image de l'IA) et 600 à 900 itérations du prompt final, il ne s'est pas arrêté par fatigue mais parce qu'il trouvait l'image plus belle, plus aboutie que les précédentes. Il a ressenti quelque chose. Et pour la machine, cette image était-elle plus belle que toutes les autres ? Comment peut-elle connaître la beauté ? Cette notion "mouvante" en fonction des personnes, de l'époque, du lieu ...
Le risque avec Chat GPT ou toute autre machine pensante ne serait-il pas le suivant : considérer que la seule intelligence est l'intelligence de l'analyse et des données et donc abandonner la partie. Nous possédons tellement d'autres atouts.
Nous ne pouvons pas analyser autant de données qu'une machine, aussi rapidement qu'elle, mais nous prenons tout de même des décisions avec moins de données. Nous laissons notre intuition s'exprimer (pour le meilleur et pour le pire ;-)
Même sans avoir étudier aux Beaux-Arts, nous sommes capable de dessiner, de créer. Et après avoir étudié, certains d'entre nous sont suffisamment imaginatif pour créer à contre-courant de tout qu'ils ont appris. Est-ce qu'une IA pourrait créer à contre-courant de ce qu'elle a appris ?
Nous sommes incarnés, nous percevons des sensations, nous ressentons des émotions, des sentiments.
"L'Homme possédait une nature fondamentalement incompréhensible. Ses perceptions étaient organiques [...] Ses perceptions Lui procuraient des sentiments et des émotions [...] L'Homme ne sentait pas les miles ou les mètres, les kilos ou les litres. Il sentait le chaud et le froid; Il sentait la pesanteur et la légèreté. Il connaissait la haine et l'amour, la fierté et le désespoir. Toutes ces choses ne sont pas mesurables." Tentative d'explication de la nature de l'Homme par la machine Mordel dans la nouvelle Le temps d'un souffle, ...
On peut être inquiet, "Seul l'Homme peut connaître la peur"(Le temps d'un souffle, ...), on peut être admiratif de l'avancée technologique. N'oublions pas que nous pouvons décider de l'utiliser avec discernement.
Je recommande vivement la lecture de la nouvelle Le temps d'un souffle, je m'attarde... de Roger Zelazny, de la science-fiction poétique.
Comments